vendredi 18 juin 2010

T'accepter (Asuncion de ti) - Mario Benedetti





T'accepter


1

Qui aurait cru qu'il se trouvait,
seul dans l'air, dissimulé,
ton regard.
Qui aurait cru cette terrible
occasion de naître déposée à la portée
de ma chance et de mes yeux
et que toi et moi nous irions, dépossédés
de tout bien, de tout mal, de tout,
nous enferrer dans le même silence,
nous incliner sur la même source
pour nous voir et nous voir
espionnés mutuellement dans le fond
tremblant depuis l'eau,
découvrant, prétendant atteindre
celle que tu étais derrière ce rideau
celui que j'étais derrière moi.
Et encore nous n'avons rien vu.
J'espère que quelqu'un viendra, inexorable,
toujours je le crains et je l'espère
et qu'il finisse par nous nommer dans un signe,
par nous situer dans quelque position
par nous laisser là, comme deux cris
de frayeur.
Mais jamais ce ne sera. Tu n'est pas celle-là,
je ne suis pas celui-là, ceux-là, ceux que nous avons été
avant d'être nous-mêmes.
Tu étais toi mais maintenant
tu rêves un peu à moi.
J'étais moi mais maintenant
je viens un peu à toi.
Pas trop, seulement un toucher,
peut-être un léger grattement familier,
mais qui nous force à nous embrasser
toi et moi quand nous nous pensons seuls.

2

Nous sommes parvenus au crépuscule neutre
là où le jour et la nuit se fondent et s'équivalent.
Personne ne pourra oublier ce repos.
Il passe sur mes paupières, le ciel facile
et me laisse les yeux vides de cité.
Ne pense pas maintenant au temps des aiguilles
au temps des pauvres désespoirs.
Maintenant existe seulement le désir dénudé,
le soleil qui se dégage de ses nuages de pleurs,
ton visage qui s'entre à l'intérieur de la nuit
jusqu'à être seulement voix et rumeur de sourire.

3

Tu peux vouloir l'aube
Tu peux
venir te réclamer comme tu étais.
J'ai conservé intact ton paysage.
Je le laisserai dans tes mains
quand celles-ci arriveront, comme toujours
t'annonçant.
Tu peux
venir te réclamer comme tu étais.
Même si déjà tu n'es pas toi.
Même si ma voix t'attend
seule dans son malheur
en brûlant
et que ton maître soit cela et bien plus.
Tu peux aimer l'aube
quand tu aimes.
Ma solitude a appris a t'arborer.
Cette nuit, une autre nuit,
tu y seras
et le temps giratoire recommencera à gémir
et les lèvres diront
cette paix maintenant cette paix maintenant.
Maintenant tu peux venir te réclamer
pénétrer en tes draps d'anxiété joyeuse,
reconnaître ton coeur tiède sans excuses,
les tableaux persuadés,
te savoir ici.
Il y aura pour vivre n'importe quelle fuite
et le moment de l'écume et le soleil
qui sont demeurés ici.
Il y aura pour apprendre une autre piété
et le moment du sommeil et l'amour
qui sont restés ici.
Cette nuit, une autre nuit
tu seras
tu seras tiède à la portée de mes yeux
éloignés déjà de l'absence qui nous appartient.
J'ai conservé intact ton paysage
mais je ne sais pas jusqu'où il est intact sans toi,
sans que tu lui promettes des horizons de brouillard
sans que tu lui réclames sa fenêtre de sable.
Tu peux vouloir l'aube quand tu aimes.
Tu dois venir te réclamer comme tu étais.
Même si déjà tu n'es pas toi,
même si tu amènes avec toi
la douleur et d'autres miracles.
Même si tu es un autre visage
de ton ciel jusqu'à moi.

Traduction par Jean McComber, juin 2010.

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